Les théories du déclin, entre fantasmes et remèdes dangereux

Day 1,346, 10:09 Published in France France by Ivan Dusaiks


La décadence morale, toujours accusée d'être à l'origine de déclins supposés.



Il semble de rigueur, bikinis et plages obligent, de ressortir ce que les journalistes nomment les marronniers dans leur jargon, à savoir le sujet éculé qui fait vendre à un moment donné de l'année. Pognon vers noël, cul l'été ; erepublik semble avoir choisi la décadence, voire l'annonce prochaine de la fin du monde sous des atours étymologiques tout de même plus seyants. Qu'importe, le résultat et les propos sont les mêmes.

Ainsi, le constat de l'inexorable déclin de la « nation française » est posé. Sans rire. Sur des accents aux trémolos proches de ceux de Finkielkraut qui se lamente de l'apocalypse qui attend sagement notre « nation » réelle, l'on nous balance à la gueule et en tous sens ces demi-vérités éculés : stagnation de la population, accaparement du pouvoir par l'élite d'irc, les vieux qui ont tout, les jeunes que personne n'aime, tant et si bien qu'on se croirait presque revenus à la belle époque du PSD, la nostalgie du bon vieux temps où l'on te donnait la main, de gré ou de force, mais surtout de force, pour t'intégrer, apprendre la langue du pays d'accueil, se glisser dans les coutumes locales pour être un brave citoyen, et autres avatars sympathiques des plus plaisantes des thématiques politiques du monde réel. La belle époque où l'on réclamait à cor et à cris larmoyants plus de parrains pour coller aux culs des filleuls, plus de lien d'étouffement social, plus de dressage à la discipline militaire.

Preuve de l'excellence de ce modèle, notre population qui atteignait jadis 15000 âmes électroniques en compte désormais 3500, les jours de beau temps avec le vent dans le dos. C'est dire s'il est le mieux à même de retenir la chair fraîche tant appelée des vœux consensuels de nos chères élites aspirantes.

En réalité, si stagnation il y a, elle n'est pas tant due au manque d'action de cohésion sociale qu'à leur surabondance, au manque de perspective offert par une logique de tout ou rien, et, bien entendu, par une stratégie de développement du jeu désastreuse, où les règles influant profondément sur son identité changent tous les deux matins, sans que l'enjeu de cohérence outrepasse la logique de rentabilité pure.

Ni publicité extérieure, ni même d'encouragement à recruter d'autres joueurs par des procédures trop longues avant l'obtention d'une récompense somme toute ridicule, toute la stratégie marketing repose sur le fait que des joueurs auraient intérêt à amener d'autres joueurs. Si c'était le cas en beta, ou au début de la V1, c'est aujourd'hui très discutable, et la maigreur des avantages personnels collectés ne donne guère envie de dépenser son temps à cela. Reste l'intérêt national et nationaliste pour certains pays ; nous n'avons que peu de fanatiques de ce genre, et c'est peut-être mieux pour l'ambiance générale locale.

Bien entendu, il serait décidément trop flatteur de ne blâmer que la technique et les errances du développement ; nos tâtonnements en matière sociale ont aussi eu et ont toujours des incidences à long terme sur ce chiffre de population, regardé avec angoisse et gouttes de sueur, à l'instar de la règle que l'on tient au plus près d'un pénis.

Comme je l'ai déjà évoqué dans de nombreux articles, notre politique en matière d'intégration demeure calamiteuse. A vouloir en effet intégrer à toute force des joueurs qui débutent, à vouloir les harponner d'emblée pour les faire entrer in fine dans le saint des saints, l'armée régulière, seul objectif chiffré intéressant la statistique militaire, par des dispositifs de parrainage envahissants, nous avons perdu de trop nombreux joueurs. Au lieu, en effet, d'avoir proposé une palette de niveaux de jeu, les nouveaux ont pu être submergés par l'ampleur des attentes à leur égard en termes de participation, et donc de temps à consacrer à ce qui ne reste qu'un bête divertissement, pas même intelligent. La méthode du tout (l'armée, le pognon, la politique, l'investissement massif en temps) ou rien (dehors) a très certainement plus accéléré notre naufrage statistique que le déficit d'information relatif et le manque de lien social tant décrié ailleurs.

A cela, de nombreux remèdes ont été proposés, et le plus significatif reste celui de démocratie participative cher au Parti Koinmuniste, mais qui, sous la forme généralement retenue et exprimée, souffre elle aussi de trop d'imprégnation de la vie réelle et de ses enjeux en termes d'égalité stricte. Là encore, l'indifférenciation revendiquée en termes de participation et de temps de contribution (disons crédit-temps dans la suite de l'article) aurait quant à elle, au lieu de faire fuir le petit peuple combattant, comme l'a fait la politique d'intégration PSD-CA, entravé l'essor d'une aristocratie suffisamment étoffée pour maintenir le système à flot dans le cadre de crédits-temps disparates ; les plus disponibles et compétents héritant de fait des pouvoirs qu'ils seraient en mesure d'assumer, dans un système idéal.

Quelques tentatives ont eu lieu, mais rien de significatif n'a réellement été fait, et si nos élites sont aussi clairsemées, c'est plus pour des raisons de conservation de pouvoir par certains, qui ont été trop gourmands, s'en sont mordu les doigts et se sont retirés, alors qu'ils avaient bien trop complexifié la machine d'état pour passer le relais, que par la pression externe du PK en faveur d'une participation populaire qui n'a jamais été concrétisée.

N'en déplaisent aux tenants de l'efficacité et de la bonne gestion financière, la paranoïa avec laquelle a toujours été géré le trésor français, ainsi que sa dépense, par la mise en place de systèmes de rétribution hautement complexes à niveaux de contrôle multiples, à l'instar de ce merdier de module de distribution d'armement, a plus contribué à tuer le jeu français que le consensus mou ou les sempiternelles querelles politiques, qui au moins insufflent un peu de vigueur. Désormais, l'appareil d'état est si complexe qu'en concéder la gestion est devenu culturellement impensable, que changer de têtes est devenu un doux rêve, et les gouvernants nouvellement élus se retrouvent souvent confrontés à l'immense machine et à ses gardiens du temple de la paperasse, sans avoir aucune marge de manœuvre puisqu'on ne peut rien bouger sans l'accord de cette administration souvent de mauvaise volonté et consciente de son pouvoir par l'incapacité technique de les remplacer en raison de l'indéchiffrabilité du système bureaucratique qu'ils ont mis en place.

Les causes première de cette stagnation n'ont donc rien à voir avec le sentimentalisme pionnier ni la fermeture culturelle supposée du jeu, et encore moins avec un entre-soi relationnel cautionné par les institutions, mais plus aux excès de prise en charge, d'une incapacité à se détacher des règlements et des procédures, d'un manque d'alternative entre l'obligation de la contribution militaire ou la marginalisation, et surtout d'une incapacité à accepter le risque de l'erreur, le risque d'un modèle de gestion qui ne soit ni un clone de l'union soviétique comme nous l'offre encore le courant alternatif ni la communauté hippie du PK où les membres n'ont que ça à foutre de discuter toute la journée de problématiques de gestion.

La vérité n'est d'ailleurs même pas entre les deux, car aucune vérité ne sourd d'un compromis entre deux bêtises, comme on aurait tendance à le croire en politique IRL. La solution consiste à penser en termes de divertissement, d'attraction, de mobilité et surtout de simplification. Que l'on puisse entrer et sortir de l'armée comme d'un moulin. Que l'on puisse choisir de participer à telle opération et pas à telle autre. Que l'on puisse passer de la gestion d'effectifs militaires à la gestion du budget en termes d'évolution politique. Que l'état cesse de raisonner en termes de profitabilité maximale et de pertes minimales. En un mot, faire acte de l'impossibilité de la rigueur et de la discipline dans l'exercice forcément libertaire d'un jeu auquel personne n'est réellement contraint de jouer. Ou, de façon plus imagée, cesser de vouloir gérer un camp romain avec trois péquenots en bon ordre mais bien seuls pour s'en remettre à la horde barbare.


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