La candidature

Day 2,116, 05:25 Published in France Ireland by Alfa UKSF

Le hall de l’hôpital était bondé en cette journée chaude et humide. Les civils allaient et venaient, presque sans but précis. L’établissement ne ressemblait en rien aux grandes cliniques militaires qu’il connaissait bien. L’ambiance y était beaucoup moins stressante. Les infirmières étaient agréables, presque sympathiques si l’on excluait le fait qu’elles étaient plus occupées à se recoiffer en permanence pour attirer l’oeil des rares médecins que pour s’occuper des patients.

Bien qu’il reconnût parfaitement la langue utilisée tout autour de lui, il n’en comprenait pas un traître mot. Du portugais avec un accent exotique. Pas de doute, il était au coeur du Brésil profond.

“Bonjour, je cherche la chambre du Capitaine Laflore, s’il vous plaît”. La secrétaire médicale ne le regarda même pas et indiqua le couloir de droite en grommelant quelques mots improbables dont il ne comprit que “117”. Il en savait assez et se dirigea d’un pas pressé vers sa bien aimée.

La chambre était vide. Quelques affaires de toilette traînaient nonchalamment au dessus de l’évier. Il identifia sans la moindre hésitation l'embruns qui, mille fois, lui avait fait perdre la tête, ainsi que l’alliance qui les avait uni quelques semaines auparavant. Lui n’avait jamais enlevé la sienne. Sans doute des raisons médicales, ressassait-il, en essayant de se convaincre. De toutes façons, il avait fait la route depuis la colonie de Volga Vitkaya et il ne repartirait pas sans avoir vu celle pour qui il avait défié, l’avant veille, le commandant de l’armée lorsque ce dernier lui refusa une permission exceptionnelle de quelques jours.

Il s’écroula sur le petit fauteuil en tissu orange qui était disposé en diagonale, à la tête du lit vide. Le sommeil arriva sans le moindre coup de semonce.

Les territoires sud avaient une nouvelle fois été libérés et un projet ambitieux nourrissait tous les débats au quartier général. La Serbie réduite à sa plus simple expression, le nouvel objectif de l’alliance rebelle était la Slovénie. Il n’avait pas participé aux sempiternelles discussions préalables à la moindre action. Il était un homme de terrain, le savait et le revendiquait au plus haut point. De toutes façons, d’autres pensées le hantaient et l’heure était à la méditation bien plus qu’à l’affrontement direct avec la hiérarchie.

Les têtes pensantes de TWO craignaient, pour on ne sait quelle raison, la Loi d’ennemi juré qui était en cours de vote au pays des Lumières. Peut-être que la dynamique victorieuse que nous avions connu depuis quelques semaines laissaient présager le pire et inspirait un certain respect dans le camp opposé. Toujours est-il que dix volontaires ennemis avaient réuni assez de fonds pour financer une résistance dans une région, d’origine italienne, contrôlée par les Slovènes.


Une nouvelle fois, machinalement, il n’attendit que le feu vert de la Présidence pour se lancer corps et âme dans la bataille.

Dernièrement, le coeur n’y était pas mais cette fois, encore moins. La poignée de mots reçus par SMS quelques jours plus tôt résonnaient incessamment dans sa tête, et cela se traduisait très bien sur le champ de bataille de par ses manoeuvres imprécises et maladroites, parfaitement indignes d’un soldat de son rang.

Les différentes batailles défilèrent, sans saveur, sans gloire mais avec un résultat qui n’arrêtait pas de provoquer en lui cette fierté et son amour pour le drapeau qu’il chérissait plus que tout, ou presque. La victoire l'enivrait, il savait que c’était une drogue dont il ne pourrait jamais se passer.

La révolte italienne échoua, ce qui donna la possibilité à nos troupes de lancer un assaut direct sur la nouvelle cible. L’ennemi serait désormais slovène, jusqu’à la victoire finale ou la défaite la plus humiliante.

Les premières escarmouches étaient très disputées, chacun des camps ne voulant, pour rien au monde, laisser l’avantage à l'autre. Le combat était très équilibré et le résultat final se déciderait probablement de façon aléatoire.

Il essaya, tant bien que mal, de faire pencher la balance, sans succès. Il avait perdu une bonne partie la puissance que lui donnait la motivation. Il décida donc qu’il observerait le résultat de la bataille depuis le poste de contrôle, avec le reste du gouvernement.

Il se retira dans ses quartiers avant même de connaître l’issue de la bataille. Il avait croisé son commandant, au détour d’un couloir, et lui avait exprimé sa volonté de partir, quelques jours, rejoindre son épouse en convalescence. Le refus fût catégorique. Il n’en n’eut cure et prépara son paquetage en toute hâte.

Le commandant, voulant revenir sur sa décision, trouva une chambrée vide, sur le lit, parfaitement fait au carré, selon les normes militaires, un bout de papier sur lequel était griffonné quelques mots d’excuse...

“Trico? Mais, qu’est-ce que tu fais ici?”. Cette voix douce, qu’il aurait pu reconnaître entre mille le tira de sa léthargie. Il ouvrit les yeux, doucement, et l'aperçût en robe de chambre d’un blanc immaculé. Il crû à un rêve...Non, l’odeur, la chaleur moite des tropiques, pas de doute, il était dans la chambre d’hôpital.

“Bonjour, toi”, il lui sourit, se leva en s’approchant, sans hâte et la pris sans ses bras.

“Je te croyais morte”. “Je sais, je suis désolée” il déposa machinalement un baiser sur son front. Toutes ces heures d’inquiétude et de désespoir s’envolèrent, comme par magie.

“Tu sais, j’aimerais que tu fasses quelque chose”, lui susurra-t-elle à l’oreille. “Dis moi, tout ce que tu veux”. “J’aimerais beaucoup te voir à la présidence de mon pays”.

Le Paraguay...cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas mis les pieds, cette demande ouvra la boîte à souvenir.

“C’est d’accord, je vais réunir une équipe et je vais préparer ma candidature”.

Elle lui sourit et coucha sa tête sur son épaule. Il se sentait plus vivant que jamais...