Comme une odeur de calme avant la grande tempĂȘte

Day 950, 03:10 Published in France France by Ivan Dusaiks


« La brillante et merveilleuse posture diplomatique de la France ». Vue d'artiste.


Alors que la tempête retombe, et que les augures aux doux nom de ministères nous promettent le beau temps – que dis-je, un soleil radieux dans un monde de pure et totale perfection, l'heure est désormais à l'analyse. La France sur le divan. Et s'il fallait en résumer simplement le contenu, l'on pourrait se contenter de dire que les scientifiques mitterrandiens ont du par accident reprendre du service dans ce gouvernement-ci, parce qu'il semblerait que le nuage se soit – encore ! Quel bonheur – arrêté sur la ligne bleue des Vosges. Partout ailleurs en Europe, cette crise en a préparé une de plus grande ampleur, mais notre caricature diplomatique désire que tout aille bien, ce qui, par la nécessaire volonté présidentielle, advient, est, et sera. Amen.

Pour mieux comprendre notre situation, il faut en revenir à ses origines. Au 6 juin, plus précisément. Alors fraîchement élu, notre cher président décide de passer immédiatement à l'action, sans guère prendre le temps du recul et de la consultation, sans guère non plus prendre le temps de mesurer les conséquences à long terme – parce que les conséquences se plient à notre volonté, n'est-ce pas ? Peu de jours après, les relations avec l'Ukraine sont déjà entachées, alors qu'il s'agit de l'un des trois membres fondateurs de notre alliance actuelle. Premiers jours, première faute, nos relations avec 5000 personnes sont passées de très amicales à neutre-hostiles, sans gain autre que d'amour-propre, que celui d'avoir vaincu un ennemi imaginaire.

Pourquoi une erreur ? Parce que les pays de l'Entente sont dans une situation d'interdépendance diplomatique, ils y sont parce que fondamentalement, ils ne peuvent ou ne veulent aller ailleurs, parce que leur situation géographique les mettrait autrement en danger, parce qu'ils ne sont les bienvenus nulle part, parce qu'ils doivent jouer la balance des pouvoirs pour survivre ; en d'autres termes, nous avons rompu les relations avec un membre objectivement captif de l'alliance en lui refusant toute dignité par une confrontation brutale avec son statut, faute s'il en est.

La seconde est, elle, beaucoup plus subtile, et ne fera sans doute pas sentir sa marque avant plusieurs semaines ou mois, ce qui permet effectivement, au choix, de s'en laver les mains, ou d'affirmer que tout va bien dans le meilleur des mondes, que le ciel est bleu, que les rivières de lait et de miel inondent la France d'une joie sans égale, bref, que les licornes arc-en-ciel ont envahi notre beau paysage. Mais comme me l'a dit l'un de mes contacts hors phoenix d'ancien président (c'est là l'un des rares privilèges de la fonction, on peut encore savoir ce qui se passe ensuite, et c'est très amusant de pouvoir en parler amicalement, sans précaution, tout en riant des autres), « man, your president is an ass, and you are in deep shit ». Je crois que cela se passe de traduction.

L'affaire Rhône-Alpes, comme il conviendrait de la nommer, a commencé de façon assez singulière. Vingt quatre heure avant le début de l'opération, à quelques heures près, la diplomatie hongroise a contacté la notre, de façon semble-t-il assez cavalière. Du genre « les mecs, on va prendre Rhône Alps, c'est comme ça et pas autrement, mais si vous êtes gentils, vous aurez le droit de ramasser quelques miettes ». Du pur hongrois, en somme. Bien entendu, une telle opportunité ne devait pas être négligée, en dépit des circonstances, et ce fut chose faite, la France s'est rattachée aux wagon de queue. Cependant, les négociations préliminaires ont été menées à la va-vite, sans guère de consultation au sein des pays concernés, ce qui fait que si des engagements ont été pris, ils reposaient sur la simple parole donnée, on se file une claque dans le dos, on se frotte le nez, et en avant la musique, chargez, cliquez sur fight, cliquez encore sur fight... Seconde erreur diplomatique, tout aussi peu pardonnable, la crédulité. Nous n'avons demandé aucune garantie, et sauté à l'élastique sans élastique. Pour la suite que l'on connaît.

Le résultat fut assez simple, le congrès hongrois, sûr de son bon droit et de sa légitimité, se refuse à honorer un engagement à propos duquel il n'a pas été consulté, pour des raisons diverses et variées, allant du « ils nous doivent bien ça » à « c'est trop cher, on peut pas payer » (carte du club ouin ouin en option), en passant par le larmoyant « nous faire ça à nous, c'est indigne d'un allié ». Que ces arguments soient légitimes ou non importe peu, la diplomatie n'a que faire de la légitimité et de la justice, être dans son bon droit ne signifie aucunement le droit d'être soutenu, seules les conséquences et les rapports de force doivent être envisagées, car si la Hongrie n'a pas le beau rôle, elle reste néanmoins un membre clef de l'alliance phoenix, et si celle-ci doit choisir entre la gentille France qui pleure et son membre hongrois, n'allez pas croire que la bonté et la magnanimité l'emporteront.

Phoenix tente bien entendu d'intervenir, mais pas pour ménager la France, plutôt pour préserver la Hongrie. Des négociations sont en cours, et nous y avons gagné de merveilleuses avancées diplomatiques : les serbes penchent largement du côté hongrois, du moins pour ce qui est de la population ; la Hongrie nous en veut, la Serbie semble prête à les suivre, tandis que les russes se marrent, ce n'est pas réellement ce que l'on peut appeler un succès diplomatique. En guise de consolation, demeurent le Brésil, certes imposant mais loin d'être tout-puissant, à la population jeune, le Royaume-Uni, avec qui nous n'avons jamais vraiment développé de partenariat autre que circonstanciel, et une myriade de pays neutre-amicaux sur le ton de « la France ? Ah oui, la France, c'est cool ». Ce qui ne fait pas bien lourd.

En attendant, nous avons signé un accord qui s'apparente bien à un véritable Munich diplomatique, parce que, pour reprendre le mot de Churchill, « You were given the choice between dishonour and war. You chose dishonour. And you will have war. » ; nous avons eu le choix entre la guerre et le déshonneur, nous avons choisi le déshonneur et nous aurons la guerre. Pas contre la Hongrie, bien entendu, mais contre le premier voisin opportuniste qui, sentant son heure venue, pourrait décider de sonner la charge, tandis que phoenix gardera consciencieusement les yeux sur son propre et quelconque conflit, ou décidera de se faire du pop-corn, car s'il est un fait acquis, c'est que la population hongroise est rancunière, et qu'ils feront tout pour pousser à la neutralité à notre égard, en dépit des accords. Mais le gouvernement s'en vante, et les joueurs applaudissent ce qu'ils jugent comme une bonne chose ; ne nous manque plus qu'un président ayant la clairvoyance de Daladier pour s'exclamer d'un légendaire « les cons ! ».

Oh, bien sûr, nous ne sommes pas seuls, nous avons la bienveillance et l'amitié de phoenix, quand on sait ce que cela vaut en période d'après tensions, il est clair que la sécurité de nos frontières n'a jamais été si forte, et que la légitimité du gouvernement n'en est que plus présente, parce que nous sommes dans une position idéale. Notre fierté et notre bon droit nous défendront, eux, au moins.

Quelles leçons diplomatiques en tirer ? Nous sommes désormais contraints à l'attentisme, et, pour employer une locution vulgaire, à serrer les fesses en attendant la lointaine fin, très lointaine, de l'orage, restant tout de même largement vulnérables parce que notre diplomatie a fondamentalement manqué de sens commun, en oubliant complètement les principes essentiels de cette discipline : intransigeance, rigueur et clairvoyance ; nous avons cédé lorsqu'il fallait tenir, et tenu lorsqu'il fallait céder.

Pour sûr, nous sommes encore en selle, tel le funambuliste qui avance sur sa corde, mais à chaque instant, à chaque brise, nous courrons à l'effondrement. Si nous voulons éviter de suivre la marche naturelle des choses, il va nous falloir désormais jouer avec le feu, et faire fi de cette diplomatie de jouisseurs qui n'a pour l'heure visé qu'au plaisir immodéré des amis inconditionnels de phoenix, nous recentrer sur notre propre alliance, assumer plus de neutralité en jouant l'équilibre des pouvoirs. Garantir notre sécurité de part et d'autre de la ligne rouge par de sérieux points d'appui, dans un camp comme dans l'autre, parce que sans cela, sans faire remonter artificiellement notre cote auprès de phoenix par le jeu délicat et subtil d'une concurrence qui ne dit pas son nom, nous n'aurons que le droit de dépérir dans notre coin en nous repaissant d'héroïsme fantasmé, de la paix préservée, et de nos futurs malheurs.

Oh, et si par avance, notre bon gouvernement pouvait éviter de jouer les victimes pleureuses en commentaire, je lui en serais gré, le débat sur ma prétendue frustration a déjà eu lieu deux fois, vous avez perdu par KO, parce que je m'amuse vraiment. Merci.


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