[Pavay] L'Escapade

Day 2,229, 07:56 Published in France France by SPQN


Edito
Oui. Je sais. Ceci est un pavé, ou pavay, et je m'en excuse d'avance pour les gens pressés mais après tout on est en période de vacances. Ceci est surtout un fragment de la vie de Peter DelVechio, personnage aussi étrange qu'imaginaire. Pour tout dire, ce texte n'est qu'un extrait d'un Roman entamé il y a si longtemps que cela me semble sortir d'une autre vie, et le manuscrit, restera certainement inachevé.

Sans prétention aucune, mais si vous trouvez un peu de temps à tuer (et même pas besoin de Q7 hors de prix pour cela), libres aux courageux de parcourir ces lignes.



Il déambule dans les rues de sa ville par une belle journée d’automne. Oui, il déambule, car pour dire qu’il marche cela pourrait laisser croire qu’il sait ou il va, ce qui n’est absolument pas le cas, comme souvent. Il aime sortir de chez lui, tout simplement, suivre son instinct et les signes que le hasard s’amuse à semer sur son passage. Il se dit parfois qu’il doit être fou, mais il se ravise bien vite, il aime tellement se laisser porter par les clins d’œil du destin. Ce matin là, ne sachant par où commencer son exploration des rues qu’il connaît déjà par cœur, il se dit :

- Quand tu ne sais ou aller, continue d’avancer droit devant toi !

Il sourit de sa propre maxime, dite d’une voix bien trop sérieuse, comme si il se retrouvait au beau milieu du Kalahari à la croisée des chemins, rêvant d’une oasis.
Au lieu d’une piste dans le désert, il prit la rue qui se trouvait déjà sous ses pieds et continua droit devant. Malgré le soleil qui perçait à travers la rangée d’arbres que longeait Peter, l’air était frais. Notre explorateur d’eau douce ajusta alors sa grande écharpe, et retira ses mains dans les manches de son vieux pull-over en serrant les poings. Dandinant presque maladroitement sa carcasse qui culmine à prés de deux mètres par une tignasse de cheveux bruns, ce gringalet avait l’air d’un angélique épouvantail.

Il était simplement là, dans ce théâtre que lui offrait la ville, mais il se sentait égaré, prisonnier d’un rôle qu’il n’avait pas choisi. Un peu comme ces arbres exilés loin des forets, aux racines goudronnées par la race supérieure … l’homme.

- Tiens, si j’étais arbre, j’aimerais bien organiser une évasion. Je laisserais mes feuilles mortes porter le message de révolte tourbillonnant dans le vent, et par une douce soirée, à la lueur de la lune complice, on se ferait tous « la belle » à la campagne. La touche finale, pour la beauté du geste, serait un message laissé aux citadins. Il dirait quelque chose comme « Ne pouvant plus supporter la fumée de vos voitures, on avaient besoin de se mettre au vert. Si vous vous rendez subitement compte que l’on vous manque, c’est dommage pour vous, il fallait y penser avant … Signé C.A.U.L., le Coimité des Arbres Urbains Libres. »

Le fait d’imaginer la rébellion des arbres amusa Peter, qui se sentait dans la confidence. Il eut tout à coup l’impression que les châtaigniers pouvaient le comprendre, mais souria.

- Je dois débloquer, voilà que je me méfie d’un arbre qui pourrait lire mes pensées. Après tout, ce n’est qu’un simple végétal qui ne peut rien me faire.

Mais la hasard allait lui donner matière à réflexion, car par le miracle conjugué de l’automne et de l’attraction gravitationnelle, voilà qu’une châtaigne se décrocha de sa branche, et avec une précision digne des Jeux Olympiques … celle-ci vint s’écraser sur le crâne de nôtre héros, stupéfait de cette attaque manifeste. Quelque peu intimidé, et sans vraiment parvenir à remonter sa mâchoire, tombée d’étonnement en même temps que la châtaigne, il leva les yeux vers le dense feuillage de l’agresseur.

- Bin ça alors, c’est toi qui m’as fait ça ? Bon, ok je ne dirais rien, mais je viens avec vous si vous partez.

Puis il s’est mis à shooter dans le projectile que le porte-parole du C.A.U.L avait fait tomber sur sa tête. Sa vie n’avait rien de palpitant, une âme de plus perdue parmi les autres. Anonyme parmi les anonymes, son plus grand tort était d’être lucide, et de voir le monde tel qu’il est. Froid, impersonnel et sans pitié aucune.

Il n’avait que faire du culte de la performance, de savoir qui domine qui, qui décide. La politique n’était pour lui qu’un jeu de dupes, qui s’étalait chaque soir a 20h précise sur le petit écran, et le monde du travail un ring de boxe sans règles ni arbitre. Les malheurs des autres n’avaient jamais fait son bonheur, et il trouvait toujours une excuse à ceux qui le blessait. Il devait bien y avoir une quelconque souffrance qui pousse les hommes à frapper sur plus faible ! La peur d’être eux même la victime des autres peut-être.

Voilà, c’est le jeu des grands ! S’arranger pour être le frappeur plutôt que le frappé, le bourreau plutôt que la victime … un véritable règne animal qui refuse de dire son nom. Comment avoir envie d’y participer ? Quel serait le sort d’un zèbre pacifiste et insouciant, qui sortirait se promener dans la savane au beau milieu des fauves affamés ? Est que la lionne lui parlerait avant de lui mordre la gorge ? Ce zèbre de Peter était cela, une proie facile pour un monde de carnassiers, le monde des humains.

Tendis que tout le monde semblait se battre pour avoir le dessus sur son voisin en quelque domaine que ce soit, Peter était encore un enfant de 34 ans. Il ne comprenait pas d’ailleurs pourquoi on le lui reprochait si souvent … Quand vas-tu enfin grandir ? Lui disait-on. Grandir ? Pourquoi faire ? Je fais déjà presque deux mètres disait-il en ironisant. Si devenir adulte se résumait à montrer les dents et devenir un de ces costumes trois pièces comme son chef, M Sanchez, cela n’avait rien de réjouissant pour cet esprit inoffensif. Autant parler aux arbres, fermer les yeux et rêver d’amour.

A présent il était encore en train de jouer avec son ballon improvisé, et au bout de quelques 23 coups de pied, celui-ci vint finir sa course contre une grande grille métallique, et le bruit réveilla Peter de sa rêverie. C’était l’entrée des jardins St Raphaël. Il s’est dit que la châtaigne devait en avoir marre de bondir sur l’asphalte, ou se cogner contre les bords des trottoirs, et qu’elle aspirait à un endroit paisible pour sécher en paix.

- Tu as gagné, je ne peux pas te laisser là. Allez viens, il y a de l’herbe verte et tout plein de tes congénères derrière la grille.

Disant cela, il ramassa la petite bille marron, essuya la poussière sur son écorce, puis la posa délicatement au fond d’une poche, au dos de son jean. Il ne pouvait la laisser dans la rue, après avoir shooté dedans à 23 reprises, il aurait eu la désagréable impression de l’abandonner. Oui, c’est exagéré et puérile, mais Peter est ainsi fait, il peut s’attacher à une châtaigne en moins de temps qu’il faut pour dire « gamin ».

Doucement, le soir tombait déjà sur les jardins, à croire que rêver peut hâter la course du temps. La conscience en paix d’avoir rendu à la nature sa châtaigne, l’esprit chargé de mile futilités, ses pas se faisaient lourds et laissent de longues empreintes sur le sable. Il ne tarda pas à le remarquer et son visage s’illumina subitement. Il lui restait une dernière chose à faire avant de rentrer chez lui. Aussi tôt, sa chaussure droite fut comme aimantée sur le sol, et se déplaçant tel un bagnard à la jambe lestée, il entrepris de tracer un dessin.

Une grande ligne à peine courbe, deux bosses et la sœur jumelle de la première ligne pour finir au point de départ … voilà ce qui nous fait un magnifique et surtout immense cœur, au milieu des jardins. Du haut d’un banc il admirait son œuvre. A vrai dire son dessin était plutôt mal fichu mais qu’importe, aux yeux de son auteur il était parfait, et même parfaitement magique. Descendu enfin de son perchoir, le grand dadet souriant vint se placer prés de la pointe, et d’un pas attentif il y pénétra, pour finalement se fixer au centre.

- Décidément, je dois être un peu timbré ! Si quelqu’un me voit je vais passer pour un illuminé, mais après tout ça m’est égal, j’ai l’habitude.

Assis, il attendit là quelques instants, comme protégé de la froideur du monde extérieur. Ce minuscule bout de terre, était tout à coup un sanctuaire ou la perfidie humaine serait impuissante. Le jardin était empli d’une quiétude palpable. Même l’air lui semblait plus léger, et dans la douceur du soir le temps semblait agréablement figé. Il aurait voulu profiter de l’instant, mais il se retrouvait finalement face à lui-même, seul, comme toujours, avec personne pour le comprendre et encore moins pour recevoir cet amour qui en son cœur s’entassait tristement.

Peter laissa s’échapper un lourd soupir, et tête baissée, commença à se sentir mal.

- J’en ai marre ! Pourquoi l’amour souris toujours aux menteurs, aux égoïstes et autres hommes des cavernes ? Fichu monde détraqué !

Tout ce que lui voulait, c’était aimer comme celui qui suffoque cherche l’air, un amour flamme, feu, brasier, seule raison valable pour ne pas s’éteindre soi même. Secrètement, il rêvait de ces instants rares ou les mots sont dérisoires, et tout semble évident et inévitable, dans une douceur complice emplie du sentiment d’être arrivé au bout de l’errance. Il commença à croire qu’il a du se tromper de siècle en arrivant sur Terre. Il n’a jamais trouvé sa place dans ce monde d’apparences et de jeux macabres, ou ce sont les cœurs qui payent le plus lourd tribut. Bien trop longtemps que le sien crie solitude dans l’indifférence générale.

Sur le sable, une goutte d’eau s’écrasa en silence, puis une autre, c’était le ciel qui versait les larmes que Peter contenait sans savoir pourquoi.

Demain il se lève pour travailler, un stupide emploi alimentaire, un supplice de plus.
Mécaniquement, il se lève.
Machinalement, il marche.
Brutalement … il vient de revenir dans la vie réelle.

*SPQN*