Come back from the dead

Day 3,156, 06:31 Published in France France by Dhelk


J’ouvre les yeux. Mes paupières battent frénétiquement pour s'habituer à l'obscurité. J'étouffe. J'essaie de me redresser : sans succès. Mes bras ne sont pas entravés, mais je peux à peine remuer. Je suis confiné dans une sorte de caisson. Je frappe sur son couvercle pour m’en libérer. Il bouge à peine. L’oxygène se fait rare. Mes mains se plongent dans les poches de mon veston dont la texture, familière, est ma seule source de réconfort. J’en retire un petit couteau, glané au cours de mes nombreuses aventures autour de l’eMonde. Hâtivement, je déplie sa lame encore aiguisée. Je l’enfonce dans le couvercle de bois, qui ne tarde pas à céder. Le temps presse, je commence à suffoquer. La brèche se fait plus large, je peux passer un bras, puis le second. Avec mes ongles à vif, je gratte la terre. Un rayon de soleil plonge dans ma rétine. Mes paupières continuent de ciller avec frénésie tandis que j’aspire la plus grande quantité d’air possible.

Enfin, la surface. Avec raideur, je parviens à m’extirper de mon caisson et tombe à genoux, à bout de souffle. Mes mains s’enfoncent dans la terre légèrement humide. Je viens de remarquer qu’une pluie fine bat mon visage. Devant moi, une flaque se forme. Je distingue les contours de mon visage : mes cheveux sont longs, ma barbe hirsute. J’ai vieilli. J’entreprends enfin de me redresser. Mes yeux, bien qu’encore sensibles à la lumière, balaient l’étendue devant moi : un cimetière.

Des tombes jonchent une verte prairie, aux portes d’une ville immense dont je connais que trop bien la silhouette : Paris. Derrière moi, ma tombe fracturée, dont je me suis extirpé plus tôt. Elle n’est pas seule. Tout autour, des tombes aux épitaphes familières ; des membres de ma famille, amis, connaissances, parfois des rivaux. Beaucoup semblent être tombés.

Alors que l’orage gronde, je me mets en marche, en direction de la ville…

Les rues sont moroses, les mines basses, l’atmosphère pesante. À la vue des unes de journaux placardées sur les vitrines des commerces, la paix règne. Depuis ma disparition, la résistance l’a emportée et l’eFrance a recouvré son intégrité territoriale. Beaucoup de choses semblent avoir changé. Des tracts politiques délavées jonchent les pavés, piétinés par les passants indifférents. Au gré de mes déambulations, sous ma capuche, je scrute quelques visages familiers. Mais dans l’ensemble, j’ai l’impression de fouler les rues d’une nation qui m’est étrangère.

Enfin je la vois : cette lourde porte de chêne, avec le numéro 29 inscrit en lettre de fer à son sommet. J’entre. Dans le hall, la moitié des boites aux lettres n’ont plus de plaques : l’immeuble est désert. Je grimpe les étages, jusqu’au sommet. La porte de mon appartement est indemne. Sous le seuil, un pâle halo de lumière. J’actionne la poignée, la porte se déverrouille. Contrairement à tout ce qu’il m’avait été donné de voir depuis mon retour parmi les vivants, l’appartement - lui - est étrangement intact. Rien a changé. Ma table basse en verre est toujours recouverte de mégots froids débordant du cendrier en mosaïque ramené de Macédoine, la pile de vaisselle sale s'entasse toujours dans l'évier de la cuisine, et mon canapé s'étend en diagonale au centre de la pièce. Réconforté par cet étalage de banalité, je me glisse dans la pièce d’à côté, le bureau. Au mur, des médailles, des cadres photos avec des politiciens ou bien des paysages ramenés de mes voyages.

Tout ce qui est présent dans la pièce respire la nostalgie. Les souvenirs remontent à toute allure et m’envahissent peu à peu. Je me retourne. Sur le fauteuil, dans le coin de la pièce, mon haut de forme et ma canne. En claudiquant, je me traine jusqu’à lui. Du bout des doigts, j’effleure le feutre du chapeau. En m’appuyant sur le pommeau de ma canne, je me dirige vers le miroir. Lentement, j’enfile le chapeau.

Pas de doute, je suis de retour.