Boire les mots jusqu'à la lie

Day 1,909, 02:54 Published in France France by droopy32
Prologue
D'aucuns m'ont interrogé sur la raison d'être de cette série d'articles qui "se limitait" à de "simples copier-coller" sans autre explication. Puisque la demande point, j'y réponds en reprenant les éléments de réponse apportés dans les commentaires de l'article précédent. Ceux qui les auraient déjà lu m'en excuseront.
"Parce que la culture n'a pas besoin de commentaire. Il n'y a qu'à lire la qualité des remarques et des échanges, l'expression de la perception et du ressenti de chacun autour d'émotions et de sensations partagées avec les autres. C'est sans doute là un de ces aspects qui permettent de fonder la raison et la richesse d'une communauté. Car une communauté humaine sans sensibilité n'est qu'un ensemble froidement rationnel et pragmatique qui ruine tout espoir en la nature humaine. Tant qu'il y a de l'art, il y a de la vie, il y a des hommes et des femmes pour réfléchir, pour penser, pour échanger, pour contester, pour se lever, pour résister, pour s'émouvoir, pour pleurer, pour rire, et j'en passe. C'est pour cela que les régimes totalitaires et dictatoriaux, dès le départ, enferment et/ou réduisent au silence les artistes, détruisent les oeuvres qui les satisfont pas, et construisent un "art" pour satisfaire leur propagande. Alors si je peux rester une de ces voix qui permettent de véhiculer l'art à défaut d'en produire (quoi que certains doivent se souvenir de certaines de mes productionsˆˆ), laisse-moi cette possibilité de faire vibrer la fibre sensible qui sommeille en chacun de nous."
Sur ce, je vous laisse découvrir ce numéro qui présente toujours un tableau mais dont j'indique désormais la source et répare ainsi cette oubli coupable et qui est suivi d'un nouveau poème. J'entends déjà - et encore - des voix qui vont s'élever contre ce texte qui n'est pas écrit en alexandrins.



Picasso, La Bacchanale, 1944


LE DÉBAUCHÉ


Nous perdons le temps à rimer,
Amis, il ne faut plus chômer;
Voici Bacchus qui vous convie
A mener bien une autre vie ;
Laissons-là ce fat d'Apollon,
Chions dedans son violon ;
Nargue du Parnasse et des Muses,
Elles sont vieilles et camuses ;
Nargue de leur sacré ruisseau,
De leur archet, de leur pinceau,
Et de leur verve poétique,
Qui n'est qu'une ardeur frénétique ;
Pégase enfin n'est qu'un cheval
Et pour moi je crois, cher Laval
Que qui le suit et lui fait fête
Ne suit et n'est rien qu'une bête.

Morbleu ! comme il pleut là dehors !
Faisons pleuvoir dans notre corps
Du vin, tu l'entends sans le dire,
Et c'est là le vrai mot pour rire ;
Chantons, rions, menons du bruit,
Buvons ici toute la nuit,
Tant que demain la belle Aurore
Nous trouve tous à table encore.
Loin de nous sommeil et repos ;
Boissat, lorsque nos pauvres os
Seront enfermés dans la tombe,
Par la mort, sous qui tout succombe,
Et qui nous poursuit au galop,
Las ! nous ne dormïrons que trop.
Prenons de ce doux jus de vigne ;
Je vois Faret qui se rend digne
De porter ce dieu dans son sein,
Et j'approuve fort son dessein.

Bacchus ! qui vois notre débauche,
Par ton saint portrait que j'ébauche
En m'enluminant le museau
De ce trait que je bois sans eau ;
Par ta couronne de lierre,
Par la splendeur de ce grand verre,
Par ton thyrse tant redouté,
Par ton éternelle santé,
Pat tes innombrables conquêtes,
Par les coups non donnés, mais bus,
Par tes glorieux attributs,
Par les hurlements des Ménades,
Par le haut goût des carbonnades,
Par tes couleurs : blanc et clairet,
Par le plus fameux cabaret,
Par le doux chant de tes orgies
Par l'éclat des trognes rougies,
Par table ouverte, à tout venant,
Par le bon carême prenant,
Par les fins mots de ta cabale,
Par le tambour et la cymbale,
Par tes cloches qui sont des pots,
Par tes soupirs qui sont des rots,
Par tes hauts et sacrés mystères,
Par tes furieuses panthères,
Par ce lieu si frais et si doux,
Par ton bouc paillard comme nous,
Par ta grosse garce Ariane,
Par le vieillard monté sur l'âne,
Par les satyres tes cousins,
Par la fleur des plus beaux raisins,
Par ces bisques si renommées,
Par ces langues de boeuf fumées,
Par ce tabac, ton seul encens,
Par tous les plaisirs innocents,
Par ce jambon couvert d'épices,
Par ce long pendant de saucisses,
Par la majesté de ce broc,
Par masse, tope, cric et croc...
Reçois-nous dans l'heureuse troupe
Des francs chevaliers de la coupe,
Et, pour te montrer tout divin,
Ne la laisse jamais sans vin.


Marc Antoine Guirard de Saint-Amant
(163😎


Épilogue
Les sources des tableaux précédemment exposés dans les pages de ce journal :
- Jean-Marc Nattier, L'Alliance de l'amour et du vin, 1744 (in "Rendre l'homme meilleur", day 1906 : http://www.erepublik.com/en/article/rendre-l-homme-meilleur-2208565/1/20)
- Lovis Corinth, Autoportrait avec son épouse Charlotte, 1902 (in "Deux pour le prix d'un ! Et sans soldes !", day 1904 : http://www.erepublik.com/en/article/deux-pour-le-prix-d-un-et-sans-soldes--2207309/1/20)
- Estampe d'Armand Rassenfosse pour illustrer "Le Vin du solitaire", poème extrait des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, édition de 1899 (in "Deux pour le prix d'un ! Et sans soldes !", day 1904 : http://www.erepublik.com/en/article/deux-pour-le-prix-d-un-et-sans-soldes--2207309/1/20)
- Philippe Mercier, Le jeune dégustateur, deuxième moitié du XVIIIe s. (in "Quelques gouttes de culture...", day 1900 : http://www.erepublik.com/en/article/quelques-gouttes-de-culture--2204921/1/20)