Un soir de janvier 1945

Day 4,057, 02:35 Published in France Brazil by Guanaraba


Un soir de janvier 1945

L'ampoule du lampadaire clignotait, vacillante lumière pâle se reflétant sur les murs des immeubles en béton gris. Le froid était mordant en cette nuit de janvier, le genre de froid glacial qui vous frigorifiait sur place. Emmitouflé dans son uniforme fourré, chapka sur la tête et gants cuivrés aux mains, Yegor tenait fermement son fusil, scrutant l'avenue vide de vie qui s'étalait sous ses yeux. Des heures à guetter l'ennemi, à traquer le bosch dans tout Varsovie sous un vent glacé d'hiver. La ville sera bientôt libérée, ce n'est plus qu'une question de temps avant que les dernières poches de résistance allemande ne capitulent. Assis à ses cotés, le camarade Vassili faisait lui aussi le guet, tout aussi frigorifié, sa chapka couverte des gros flocons de neige qui tombaient en abondance dans la nuit glaciale. Ce dernier trépignait d'impatience et ne cessait de maugréer.

- Maudits allemands ! Dire que nous en sommes là à cause d'eux, quand je pense à mon foyer … C'est là bas que je devrais être et non ici à me geler comme un esquimau !

Yegor haussa les épaules, ne se défaisant jamais de sa morne mine habituelle.

- Veux tu bien arrêter de râler ? Nous serons chez nous dans moins d'un mois. Hitler est peut être fou, mais même les déments capitulent.

Ignorant royalement Yegor, Vassili continua sur sa lancée.

- Ah mon ami ! Si tu savais le bonheur que ça serait de rentrer enfin ! Je vois déjà le feu de cheminé, ma femme préparant un bon ragoût de pommes de terre avec une bonne bouteille de vodka sur la table, mon fils sur les genoux me tirant la moustache tout en rigolant, mon lit douillet m'attendant le soir venu … Et bien non ! On est ici à attendre dans le froid, à guetter pour rien pendant des heures ! Et tout ça pour quoi ? Pour le plaisir de ce bon vieux Staline …

- Moins fort ! évite de te faire entendre par le commissaire politique, avec ce genre de propos s'en est fait pour nous deux …

Yegor s’interrompit brutalement. A l'autre bout de la rue, une ombre noire furtive s'était déplacée. Il fit instinctivement feu … La cible visiblement touchée s'effondra sans un son. Les deux soldats se précipitèrent pour l'identifier.

Allongé au sol, un jeune garçon de huit ou neuf ans gisait mort. Son uniforme allemand lui rendait au premier abord une apparence impersonnelle … Un soldat parmi tant d'autre. Une apparence impersonnelle qui jurait avec son visage d'enfant. Ses yeux bruns vides de vie fixaient le ciel étoilé, si son teint n'était pas aussi pâle on aurait presque dit qu'il se reposait paisiblement … Une petite masse inerte seule dans l'avenue grisâtre gisait là … Il n'aurait pas dû être là. Personne n'aurait dû être là.

Les deux hommes fixaient l'enfant, aucun d'eux ne prononça un mot, aucun d'eux ne parvenaient à détacher le regard du corps inerte. Dans la nuit étoilée, les flocons continuaient de tomber, comme si rien ne s'était passé, comme si le monde continuait de tourner. Au bout de plusieurs secondes, Vassili osa prendre la parole. Sa voix semblait morte, éteinte.

- On devrait l'enterrer.

Yegor le regarda mais ne pipa mots.

Tout en tremblant, il sortit de sa poche une cigarette, l'alluma d'un geste machinal et retourna en arrière faire le guet.