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L'homme en complet noir entra dans la grande salle. L'odeur de tabac froid, la fumée du tabac chaud emplirent ses narines, au point de se demander s'il dépasserait la soixantaine en restant ici. Très vite, il aperçut son interlocuteur, Giuseppe. Celui-ci semblait l'attendre.

— Je savais que vous accepteriez mon invitation.
— Disons que c'était une bonne excuse pour ne pas aller à l'opéra avec ma femme. Mais si ça vous fait plaisir de le croire, alors oui je suis ici pour entrer dans la Famille.
— Et le chapeau ? La tenue obligatoire ?
— On était d'accord, pas le chapeau. Je porte très mal les couvre-chefs.
— On verra ça avec le Don. Suivez-moi.

Le piano désaccordé criait ses derniers accords sur le pas des danseuses à moitié nues. Entre un homme moustachu et une femme en robe rouge, Sousbois reconnut le premier adjoint au maire de Paris. "Vous avez du beau monde ce soir", lança-t-il à Giuseppe.
Sans lui répondre, celui-ci leva le rideau rouge et violet qui recouvrait l'entrée d'un salon plus petit et moins peuplé. "Le Don est en bout de table, allez-y."

Il pénétra dans le salon et salua d'un signe de tête toute l'assemblée. En se retournant, il vit Giuseppe sortir de la pièce et refermer le rideau.
— Ah, Monsieur Francis Sousbois. Comme ça on rejoint le clan des politiques corrompus.
— Ha ha, elle est bien bonne celle-là, Gio.
— Taisez-vous.
Le Don se leva après avoir calmé sa table et fit signe en direction des deux autres tablées. "Messieurs, nous devons maintenant choisir entre accepter Francis Sousbois parmi nous, lui faire jurer fidélité à notre cause, ou le tuer pour qu'il ne révèle pas cet endroit au reste du pays."
Le Don se tourna vers Sousbois. "Je plaisante, hein." Puis il se rassit. "Quoique..."

Sousbois s'était assis sur la "chaise de l'aspirant", à l'autre bout de la table rectangulaire, en face du Don. Cette chaise avait été spécialement modifiée pour son usage, ses pieds sciés pour que l'invité soit plus bas que tous les autres membres attablés. Sousbois le remarqua mais ne dit rien.
— Bien. Première chose : la tenue. Qu'est-ce que c'est que cet accoutrement ?
— C'est mon costume Hugo Boss, pourquoi ? Pas assez cher ? Ah et puis, je ne fume pas non plus. Vous voyez, je ne suis pas fait pour la mafia.
Cette provocation allait-elle susciter la méfiance, voire le mépris ? ou bien serait-ce perçu comme une forme de courage ? Au point où il en était, il s'en fichait.
— Alors, nous allons "étudier votre dossier", comme ils disent dans les administrations.
— Ha, elle est bien bonne !
— Ferme-la Gino. Bon, à 18 ans, Sciences Po Strasbourg. ENA à 23 ans, échoue à Normal Sup'. Commence par la mairie de son village paumé, puis brigue la mairie de Nancy. Eh Gio, on n'a pas fait buter un gars à Nancy dernièrement ? Bref, tente d'entrer au Congrès sur une liste divers-droite, échoue deux fois. Côté sentimental maintenant. Une femme, une maîtresse, pas d'enfants, pas d'animaux de compagnie. Pas d'amis non plus apparemment. Je me demande où Giuseppe nous l'a trouvé, ce coco-là. Enfin bon, a travaillé chez Bartschild & Cie, a optimisé fiscalement plusieurs grosses multinationales, a bu pas mal de pots de vin. Là c'est intéressant. Il pourrait soutenir notre cause financièrement parlant.

Pendant ce temps, Francis était occupé à évaluer les mensurations d'une femme assise à la table d'à côté, en prenant en compte l'échancrure et en se remémorant ses précédentes conquêtes. Il fut ramené à la discussion rapidement.
— La femme du maire de Marseille. Mieux vaut ne pas trop toucher, même des yeux. Même par la pensée d'ailleurs. Bien, qu'attendez-vous de La Cosca, monsieur Sousbois ?
— Un siège au Congrès.
— Tout de suite le Congrès. Eh bien, monsieur y va franco. J'aime ça.
— Taisez-vous tous. Je vais prendre ma décision.

Cette voix tranchante était celle du Don, et personne n'ose contredire le Don. Toute la salle fut prise d'un silence étouffant. Chacun attendait le verdict du Parrain.

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