[eFrance] Une nuit au Cosca Club.

Day 2,743, 11:03 Published in France USA by F. Underwood
La musique a commencée. Un rythme rapide mais maîtrisé, relaxant mais excitant, un superbe morceau de bebop qui avait atteint mon coeur d’amateur. J’ai fixé le paniste. Je connaissais personnellement le pianiste, un Eclypsien du nom d’Alex, un barbu qui s’amusait avec les touches de pianos comme je me serais amusé avec la paire de jambes sans fin d’une brunette aux yeux sombres.



Du même genre que la succube aux yeux noirs qui me fixait, titillant ma vision périphérique jusqu’à ce que je me décide d’aller la rejoindre pour me prendre un autre verre du vieux numéro cinq de Jack Dan. Et je me suis assis juste à côté d’elle.

Je ne pouvais pas faire semblant de l’ignorer pour toujours, et son sourire aussi aguicheur qu’énigmatique montrait à quel point elle savait que je bluffait.

« Un whisky pour moi. La même pour madame. »

Le barman sourit. Un âge certain et un regard perçant, le tout couronné d’un canotier. « Un whisky pour vous. Voilà. »

« Et la da -»

« Je sais ce que madame veut », m’interrompant. « Et je sais qu’elle n’en veut pas. »

Merci mon vieux, mais ta bonne volonté n’était pas la chose dont j’avais besoin en ce moment même. Il a gardé le même sourire amusé. J’ai continué à le fixer d’un air mauvais.

« Un whisky est okay pour moi, » fit-elle avec une voix qui me rappelait le plus doux des velours. « Je vais essayer quelque chose d’autre. Merci pour tout, Vine. »

Il obtempéra, lui versant son verre à son tour.

« Du coup, vous venez ici souvent ? »
Elle s’est penchée à mon oreille.

« Assez, oui. »

Je n’ai jamais eu de telles sueurs froides tandis que son parfum divin envahissait mes narines. La seule chose que je ressentais était son souffle sur mon cou et ma conscience qui s’étiolait à chaque mot qu’elle prononçait.

Conscience qui m’aurait fait remarqué les coups d’œils entendus que se jetaient le barman et deux personnes peu accueillante, assis l’autre bout de la salle. Le premier semblait mâchouiller un bout de cigarette papier maïs qui n’attendait que d’être fumé. L’autre ajustait continuellement son fedora, comme pour s’occuper, sans me quitter des yeux.


« Vos boissons, » fit le dénommé Vine, qui me glissa une carte de poker avec ça. Dame de coeur, avec une petite note.

Fais attention.

« Qu’est ce que c’est que ça ? », que j’ai fait, mais il semblait avoir mit la sourdine.

Il m’a annoncé le prix. J’ai légèrement hoché la tête en direction de la dame.
« Et le sien ? »

« Elle ne paie pas. Bonne soirée à vous, monsieur.»

Son accent français m’ennuyait au plus haut point. Lui plus qu’un autre. Mais alors que j’allais exprimer mon énervement oralement, elle se pencha de nouveau vers moi.

« Tu devrais te détendre un peu. »

Elle me tint la main. Et tandis que j’étais aux anges, que je ne voyais plus rien, que j’étais au sixième ciel, les deux vigiles me regardèrent moi, puis le barman, une nouvelle fois.

Et une nouvelle carte devant moi. As de pique.

Tu es un homme mort.

« C’est quoi ces conneries ? »

La femme fit comme si de rien n’était.

« Comment ça ? Quels conneries ? »

« Qui êtes-vous. Si c’est une blague, elle est terriblement mauvaise. »

Elle ouvrit la bouche, comme si elle voulait dire quelque chose, mais son regard se déplaça vers les deux vigiles, et elle se tut soudain. C’est alors que je les remarquai pour la première fois. Leurs airs menaçant. La cigarette lentement mâchonnée, le fedora nerveusement réajusté.

« C’est la femme du Boss, mon ami. Vous avez enquiquinés la mauvaise personne, » que le barman disait. Mais il n’était plus qu’un bruit de fond, ne faisant qu’un avec le groupe de bebop qui jouait un air endiablé, augmentant ma panique de plus en plus. J’avais cinquante ans, bordel. J’avais pas besoin de ça.

J’ai cherché les issues de secours. Le vigile qui m’avait accueilli tout à l’heure n’avait plus le même regard accueillant, me fixant comme on fixe un clou dans le mur. Même chose du côté de l’issue de secours.

Seule solution, je suis allé aux toilettes. J’ai ouvert les robinets, me suis lavé la figure, me suis regardé dans le miroir.

« Doucement, Frank. Tout va bien se passer. C’est une très mauvaise blague, tu vas t’en sortir. »

Mais l’ombre que je voyais devant la porte présageait du contraire. Je suis entré dans une des cabines. Par un interstice, j’arrivais à voir l’ombre d’un type. Et l’ombre d’un objet qu’il tenait à la main, qui se terminait par un long cylindre oblong. Comme celui d’un silencieux. L’ombre s’avançait doucement. Tourna une poignée... Je devais absolument m’en sortir. Si je revenais en public, j’étais en sécurité. Ils ne pouvaient rien me faire devant tout le monde. Au moment où l’ombre ouvrit la porte, j’ai fui. C’était pas ma poignée qu’il tournait, et au moment où il se rendait compte que j’avais pris la fuite, il était trop tard.

Les deux vigiles assis notèrent ma présence, comme déçus. Ils s’attendaient à ce que j’y reste. Je me suis posé à une table, les affrontant du regard, réfléchissant à un moyen de m’en sortir, entraîné par le mortifiant air de bebop à deux cents battements par minutes qui m’a fait me perdre dans mes pensées quand-

« De la part du pianiste. »

Un des serveurs posa un verre de whisky à ma table. Un peu plus jeune que l’autre, mais à l’air un peu plus rude. Mais je comptais pas boire ce truc. Il était sans doute empoisonné. C’était certain, ces gars voulaient ma peau. (valmy)

Un type m’a murmuré un truc à mon oreille. Le même serveur.

« On m’a chargé de vous dire que certaines personnes seraient terriblement vexées si vous ne faisiez pas honneur à ce verre. »

J’ai opiné du chef, mais j’étais toujours pas convaincu. Mais on a décidé de ne pas me laisser le choix, quand j’ai vu qu’un des types qui surveillait l’issue de secours s’est approché de moi. Doucement, tandis que le rythme de la musique s’accélérait... et que ses pas l’approchait de plus en plus vers moi... Pendant une fraction de seconde, son pantalon dévoilà un objet noir et cylindrique sur le côté.

C’était lui qui avait tenté de m’avoir aux WC.


« Eh ben alors ? »

J’ai sursauté.

« Eh ben, vous m’avez l’air vachement triste pour un type qui vient de se faire offrir un whisky ? Vous le buvez pas ? »

C’était le pianiste, le type barbu, le type qui m’avait reconnu en tant qu’ambassadeur des eUSA. Le seul type qui m’avait reconnu en tant que tel, d’ailleurs. Le seul type qui avait l’air normal dans toute cette foutue histoire.

« Vous êtes dans la combine, hein ? »

« Quelle combine ? ça va ? »

« Non, ça va pas. Ils essaient de me tuer. Le truc, là, il est empoisonné. »

« Comment ça ? Le whisky ? Vous avez craqué, mon pauvre vieux. »

« Ils ont foutu un truc dedans. Je suis désolé, mais je peux pas-»

Ni une, ni deux, il a avalé ma boisson d’un trait. J’ai cru voir le type à la cigarette serré le poing en voyant Alex boire le truc à ma place.

« Voilà. Vous êtes content ? Aucun poison là-dedans. »

« Allez aux toilettes et faites-vous vomir. Vous comprenez pas...»

Il a levé les yeux au ciel, a maugréé quelque chose dans sa barbe, et est reparti. Quelques minutes plus tard, le show s’est arrêté. Le chauffeur de salle est venu.

« Messieurs dames, tout droit d’Eclypsia nous vient l’un des plus grand pianistes d’eFrance... Mesdames et messieurs, voici venu le grand... Alex ! »

Il y eut un instant de flottement. Rien. Il ne voulait pas arriver... Et je pense que je savais pourquoi. Silence, pendant plusieurs secondes. Les vigiles m’ont fixé à nouveau.

Et j’ai paniqué. Devant tout le monde, je suis monté en scène, et j’ai fait un morceau de piano. Délirant, improvisant. Trouvant un truc.


Je savais plus quoi faire. J’ai juste fait le morceau que je connaissais le mieux, juste pour tenir la cadence. J’ai jeté un bref coup d’oeil sur les rideaux. J’ai entrevu ledit Alex, assis sur une chaise, effondré... Les yeux ouverts. J’ai continué mon morceau. J’ai vu le silencieux poindre du rideau... J’ai continué mon morceau. Et je continuais, et je continuais. Mais il y avait un moment ou j’arrivais plus à improviser sans être répétitif. J’étais fini. Swing final.

J’étais moins étonné par le tonnerre d’aplaudissements que par le type qui est venu m’accueillir juste après.

« Wow, c’est du grand art, l’ami. Je suis vraiment impressioné parce que j’ai entendu. »

Petit, l’air jeune, il me rappelait un acteur de cinéma au nom imprononçable.

« J’ai fait un peu de jazz à l’époque. »

« Et ben. Vous devriez venir à mon club d'amateurs de Jazz. Je vous raccompagne chez vous ? On en discutera sur la route. »



Je n’étais que trop heureux d’accéder à sa faveur. Je suis sorti, le vigile me donnant mon manteau avec un air de regret. Je suis monté dans la voiture.

L’homme s’excusa. « Attendez une seconde, je dois juste faire un truc avant. »

Il quitta la voiture, rejoignant une silhouette qui m’était pas inconnue.

La jeune femme de tout à l’heure.

« Tu aimes faire la conne hein ? »

« Fous-moi la paix, Cara. » qu’elle fit, ennuyée par le regard insistant, tandis qu'il se rapprochait de plus en plus de son visage, de sa bouche.

Il lui attrappa la tête de ses deux mains. « Pourquoi tu m’as fait ça ? Hein ? Tu fais la conne hein ? »

« FICHE-MOI la paix ! »

« Je hais quand tu me parles comme ça...Et c’est aussi pour ça que je t’aime... »

Et leur engueulade vira vite en chamaillerie, puis en rire, puis en embrassades. Et moi qui regardait, portières verrouillées, tandis que les deux vigiles de tout à l’heure prenaient la place du conducteur et du mort dans la voiture ou j’étais enfermée.

C’était aussi ça, la Cosca.