[QuickRead] Somnium Draconis

Day 2,633, 03:18 Published in France France by Nanoyo



Bonjour, je vous présente la rubrique QuickRead dont le principe est simple. Un texte rapide et inachevé, à lire, susceptible d'évoquer des émotions ou de laisser libre court à votre imagination. Il y aura plusieurs textes de ce type par la suite. Bonne lecture !




Du sang...

Il y en avait partout. Mes mains, mon corps, mon visage jusque dans ma bouche. J'avais le goût métallique du sang qui avait baigné dans la bouche trop longtemps. Un goût âpre qui me fit tousser pour recracher ce que j'avais avalé. Les yeux écarquillés à m'en faire mal, j'observais le charnier qui m'entourait dans l'incompréhension la plus totale. Que ce soit la vue de ce massacre ou le sang ingéré lorsque j'étais inconscient, je ne parvins pas à m'empêcher de vomir. Les membres arrachés des corps inanimés laissaient place à un silence que le vrombissement des nuisibles nécrophages gênait. Éventrés, les visages lacérés, on ne les avait pas simplement tué : on avait voulu leur arracher la vie.

Je me sentais seul et je l'étais. Parmi ces monceaux de chair, je parvenais à discerner des indices qui ne trompaient pas, me remémorant qu'il s'agissait du champ des Leckett. A l'horizon, mon village en flamme se consumait lentement, mais quelque chose m'effreyait : on n'entendait aucun cri. Je me relevais lentement, parcourant les cadavres et découvrant sur un torse démembré la veste qui appartenait à mon frère. Pas l'occasion de pleurer que je repérais à ses côtés les cadavres de mon père et de mon meilleur ami. Ma mère et ma soeur ont dû périr également, le brasier était trop intense. Mais au fond de moi, je ne pus m'empêcher de courir vers le village.

Je ne peux pas être seul ! Pensais-je pour m'en convaincre, je ne peux pas être le seul survivant.
J'avais été blessé également à l'abdomen, rien de grave et l'adrénaline m'empêchait de ressentir la douleur. Inconscient au milieu des cadavres, j'ai dû passer pour mort.

Mes jambes m'amenèrent devant le brasier du village. Le crépitement des flammes et les chuintements des bois brûlant faisait penser à des cris d'enfants. Les maisons qui ne brûlaient plus étaient en ruine, effondrées sur elle-même. Combien de temps étais-je resté inconscient ? Car il fallait se rendre à l'évidence, s'il y avait des survivants ils ne se trouveraient plus dans ce brasier.

Dans ce flot d'incompréhension, le brasier du village n'était plus rien face à l'embrasement de ma colère et de ma rage. Quelque chose d'obscur et d'intense explosait en moi, je ne le réalisais pas pourtant j'hurlais. Ca n'avait plus rien d'humain, ça s'emplifiait et tout mon être se déchirait. La rage s'imprimait dans ma chair, déchirait ma peau dans une douleur effroyable, mon corps se transformait et je n'en avais plus le contrôle. Je n'étais plus un simple humain, j'étais en symbiose avec ma rage et mon corps n'en était que le réceptacle violent. Les flammes m'entouraient, la douleur s'accentuait...


Agrippant les draps avec force, Matthias venait de se réveiller brutalement dans un grand cri de rage. Il mit les mains sur son visage pour s'assurer qu'il n'avait pas changé. Trempé de sueur, sa peau n'avait plus l'aspect déchiqueté en écailles de son rêve. A ses côtés, Sally avait également sursauté et posait de nombreuses questions, mais il ne les écoutait pas. Il se leva et fixa le miroir, s'assurant qu'il était bel et bien Matthias Béjart. Dans la pénombre, il confirma son visage humain, ses yeux vers, ses mains.
Pas de griffe, réalisa-t-il dans un soulagement, ce n'était qu'un rêve...
— Mais putain tu vas m’expliquer à la fin ce qu’il t’arrive ?! s'égosilla sa femme, au bord des larmes. Elle n'avait jamais le réveil facile, c'était pire lorsqu'il s'agissait d'un réveil en sursaut.
Il se retourna vers elle et la prit avec tendresse dans ses bras pour la rassurer, lui expliquant qu’il avait simplement fait un horrible rêve… Rien de très important. L’affaire fut très vite oubliée et après un câlin, elle parvint à se rendormir tandis que Matthias fixait le plafond blanc de la chambre spacieuse de leur 220m². Sur le blanc du plafond, il percevait l'illusion d'optique des images violentes et enflammées de son rêve. Tellement réelle qu'il s'y était cru encore à son réveil. Il sourit d'un air amusé en réalisant le paradoxe qu'il incarnait à cet instant.

En effet, Matthias, responsable Publicité de la franchise Fée Dodo, la plus grosse entreprise de literie de France, ne parvenait pas à trouver le sommeil idéal dans ce qu'il vendait comme le meilleur du domaine. Bien qu'il parvienne à vendre des nuits paisibles à des milliers de consommateurs, toutes les deux nuits il se retrouvait confronté à des rêves réalistes qui le sortaient de son repos. Jusqu’alors il ne s’agissait que de rêves calmes, mais cette nuit il avait été confronté à un véritable bain de sang au cœur même de ses neurones. Il n’en pouvait plus et considérait qu’une thérapie serait sûrement le meilleur remède à ce type de problèmes. C'est la conclusion à laquelle il parvint le lendemain matin, trouvant dans sa poche intérieure une carte de visite d'un psychologue hypnotiseur - dont il ne se souvenait d'ailleurs pas de la rencontre.

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Dans la chambre 307 de l’Hopital Saint-Jean de Montigny, c’était l’heure des visites matinales et comme toujours la mère de Clément était suffisamment ponctuelle pour être là dès qu’elle le pouvait. Aujourd’hui, elle était accompagnée de la grand-mère qui s’inquiétait également pour la pauvre petite tête de cet adolescent torturé… En effet, le garçon vivait dans cet hôpital depuis maintenant 2 mois pour cause d’une activité cérébrale anormale. Au départ, cela ressemblait à de l’épilepsie nocturne, mais les analyses ne trouvait rien. Après un test du sommeil basique, le cas particulier de Clément se révéla pour le corps médical.
Le garçon n'était pas convaincu par la médecine, mais par la double vie qu'il menait. Face à sa famille, ses proches et ses médecins, il se devait de jouer l’incompréhension et la tristesse. Il était le plus à plaindre, voilà ce qu’il devait leur faire croire. Il était indispensable qu’il parvienne à manipuler la réalité afin de pouvoir mener à bien les missions qui l'incombaient dans son autre vie. Ces convulsions, il en connait l'origine, elles viennent de ces rêves. C’est que tout ça remonte à bien avant son hospitalisation. Il se souvient de cette femme, une psychologue visiblement, qui l'avait contacté par mail. Elle lui avait parlé d'une expérience facile de rêves éveillés à laquelle Clément pouvait s'adonner, ce qu'il fit, jusqu'à faire une séance avec elle, directement. Ce jour-là avait été une révélation.

C’était un an auparavant que son cerveau parvint à s’éveiller au monde dont il ne percevait jusqu’alors pas l’immensité… Le monde du rêve. Cette psychologue l’avait accompagné dans cet univers qui était inconnu au jeune homme. Elle lui expliquait que le monde réel était relié à ce rêve commun mais que seuls quelques éveillés parvenaient à modeler consciemment ce qu'il se produisait dans l'espace onirique. Elle précisa que ce qui se produisait dans l'autre monde aurait des répercussion réelle. Si une âme prend conscience de la réalité de ce rêve et qu’elle y meurt, il y a de très forte chance que son cerveau l’interprète comme tel ou dans les meilleurs cas ne provoque qu’un simple choc nerveux, autrement dit, un choc épileptique.
— Comment vous sentez-vous jeune homme ? fit le neurologue qui interrompit le flot de pensées de Clément.
— Oh... Je suis fatigué, nerveux, j'ai envie de dormir... répondit-il avec une voix fatiguée.
— Je m'en doute, l'infirmière va vous injecter un calmant pour que vous puissiez dormir.
— Dormir ? Mais il vient à peine de se réveiller ? s'exclama la mère qui tenait la main de son fils.
— Madame, il a fait des convulsions toutes la nuit ! rétorqua le docteur tandis que l'infirmière injectait le sédatif dans l'intraveineuse. Clément ferma les yeux et entendit la discussion entre le docteur et sa mère devenir de plus en plus cotoneuse, laissant place à l'obscurité.

Puis aux flammes.
L’air qui l'entourait était saturé des odeurs du charnier à proximité. Clément ouvrit les yeux et observa l'horizon, il sentit une présence à ses côtés.
— Déjà là ? lanca-t-il, surpris.
Il se tourna vers la personne qui se trouvait à proximité, Fenris. Dans le monde onirique, son corps se recouvrait d'écailles quand dans la réalité elle n'était que psychologue. L'adolescent, quant à lui, possédait encore son enveloppe humaine.
— Je t'ai senti arriver. C'est une capacité d'éveillé que tu découvriras lorsque ça t'arrivera. Répondit-elle sobrement en le scrutant de ses yeux orange flamboyants.
— Mais on est arrivé trop tard ici. Constata Clément en montrant le brasier.
— La Horde nous a devançé, oui...
— Rappelle-moi d'où ils viennent ?
Elle soupira, exaspérée.
— Ce sont les monstres intérieurs que l'homme endormi ne parvient plus à contrôler. En gros. Tentait-elle de simplifier.
Il haussa un sourcil, n'appréciant pas la condescendance de la psychologue.
— L'expression subconsciente des pulsions inconscientes et des émotions refoulées, c'est ça ?
Surprise, elle confirma.
— Et vous alors, vous n’êtes pourtant plus humaine ? Interrogea-t-il.
— Non, je fais partie des opposants à la Horde… Ceux qui font tous leur possible pour protéger le monde durant le sommeil. Nous représentons le contrôle, la force, la puissance… Généralement représenté par un animal emblématique : le dragon. C’est pour cette raison que nous nous sommes nommés Somnium Draconis, qui se traduit grossièrement du latin par dragons du sommeil.
Drôle de barratin, on croirait une secte épinglait Clément intérieurement.

Elle continua ses explications durant ce rêve, faisant comprendre au jeune garçon que le temps qui s'écoule dans le monde onirique était variable. Le rêve dans lequel ils se trouvent ne prend pas fin, il existe au travers des esprits de chaque être humain. Seuls les éveillés peuvent influencer le rêve, en prendre le contrôle. Un éveiller puissant pourrait tout contrôler, tout modifier. Il serait à l'image d'un Dieu
Cette réflexion piqua au vif Clément.
— Qui sont les autres "éveillés" ?
— En réalité, il y en a de très nombreux en état semi-éveillés. Ils peuvent s’éveiller naturellement en gardant une forme humaine. Mais c’est assez rare. Puis il y a les Somnium Draconis, dont je fais partie. Mais il existe aussi d’autres éveillés dans… l’autre camp. C’est en tout cas la conclusion que nous avons eu en remarquant que la Horde devint soudainement organisée. Je n'en ai toujours pas rencontré.
C’était donc pour ça qu’elle m’a éveillé se dit aussitôt Clément. Je suis un semi-éveillé, à ses yeux. Pourtant, je sais très bien qui je suis... C'est au delà de tout ça.
Clément cessa d'avancer dans le rêve à la surprise de Fenris. Elle se retourna, remarquant qu'il souriait et que sa peau s'assombrissait. Il s'éveillait, oui, mais trop différemment. Elle voulut l'en empêcher, le carboniser, mais il était trop tard. Elle se réveilla en sursaut, la main serrée sur la poitrine. Son coeur voulait bondir. L'adolescent qu'elle croyait innocent avait choisi son camps avant qu'elle ne l'approche et il n'aurait pas hésité à la tuer.

Son téléphone sonna, la faisant sursauter de plus belle. Elle repris son souffle et décrocha.
— Docteur Defalque ?
— C'est moi-même...
— Je m'appelle Matthias, j'aimerais prendre rendez-vous.
L'éveillé naturel réalisa-t-elle intérieurement. Un sourire se dessina sur son visage.
— J'espérais justement votre appel. Je crois que nous avons besoin de votre aide.